Alors que l’archéologie de sauvetage a débuté à Chartres en 1975, c’est seulement en 2003
que la ville s’est dotée d’un service municipal d’archéologie. En 2005, ses effectifs ont été renforcés afin de faire face aux nombreux aménagements dont la ville est l’objet1
. Le service Archéologie a reçu pour mission de maîtriser cette discipline dans toutes ses composantes et à toutes les étapes des dossiers.
En 2008, le conseil municipal a choisi de prendre la compétence territoriale complète pour la réalisation des diagnostics. Ainsi, depuis 2006 pour les fouilles et 2008 pour les diagnostics, toutes les opérations prescrites sur le territoire de la commune sont effectuées par le service municipal, ainsi que six fouilles sur des communes voisines, soit, au total, cent dix opérations (achevées ou en cours).
La permanence de l’équipe, qui connaît bien maintenant le territoire qui est le sien, permet, d’une part, d’anticiper les projets d’aménagement et de construction et d’intervenir en
amont pour ne pas retarder les calendriers des aménageurs (publics ou privés) et, d’autre part, de suivre au quotidien les nombreux travaux qui rythment la ville, en pleine transformation depuis 2005 (renouvellement et déviation des réseaux de toute nature, création d’un parc de conteneurs d’ordures ménagères enterrés, découvertes fortuites, etc.).
Les récentes découvertes, ferments de projets
La dimension archéologique revêt à Chartres une dimension atteinte par un trop petit nombre de villes dont le patrimoine archéologique (enfoui ou déjà exhumé) est souvent perçu comme une gêne ou un frein au développement. Ainsi, la municipalité actuelle a-t-elle décidé de faire de l’archéologie un véritable projet culturel. Trois grands dossiers sont actuellement à l’étude : le Centre d’interprétation de la cathédrale, la reconstruction de la Porte Guillaume et le Pôle sciences et histoire. Est aussi en préparation la mise en place d’un Centre de conservation et d’étude archéologique (CCE) répondant aux normes du ministère de la Culture. Le Centre d’interprétation de la cathédrale devrait s’installer en souterrain à l’emplacement d’une fouille réalisée en 1990-1992, fouille qui a mis en évidence, entre autres, un complexe monumental antique et une stratification de plus de dix mètres d’épaisseur, témoin de deux mille ans d’histoire. Les vestiges conservés in situ seront intégrés à la présentation et seront les premiers témoins de l’histoire du lieu, dont la lecture sera ainsi plus complète.
Le projet de reconstruction de la Porte Guillaume (détruite en 1944), unique entrée conservée jusqu’au XXe siècle dans l’enceinte médiévale, a donné lieu à une prescription de fouille afin de documenter le contexte de l’établissement de la fortification et ses étapes de transformation. La fouille, débutée en 2010, a porté sur les barbacanes sud et nord. Elle va se poursuivre par un relevé complet des éléments du bâti conservé. Le quartier Saint-Brice et Saint-Martin-au-Val a fait l’objet, en 2009 et 2010, d’une étude urbaine complète, conduite par le cabinet d’architecture Paul Chemetov. Cette étude a abouti à une proposition de création, dans un parc paysager de plus de quarante hectares, d’un musée de sciences naturelles et d’histoire réunissant les collections du muséum de Préhistoire et de Sciences naturelles ainsi que celles qui sont gérées par le service Archéologie. Cette création sera accompagnée par la mise en valeur d’un des plus grands sanctuaires antiques du monde romain2 , dont la fouille a lieu chaque année depuis 2006.
Ces trois projets montrent que l’archéologie, loin de constituer un frein à l’avenir, peut au contraire en constituer le socle principal. Donner à tous ceux que cela intéresse les moyens de s’approprier l’histoire du lieu que l’on habite grâce à la production d’éléments de connaissances nouvelles sur le passé, n’est-ce pas l’objectif majeur d’un archéologue ? Lorsque les élus, les architectes et les urbanistes se saisissent de ces résultats et les incorporent à leurs projets, l’imprégnation ne peut être que totale et réussie. L’expérience de l’archéologie à Chartres, qui a connu bien des avatars depuis 19753 , montre aussi que la création de services archéologiques de collectivités, lorsqu’on les dote vraiment des moyens qui leur permettent d’exercer leurs métiers, est, non seulement un atout pour une ville, mais aussi un complément indispensable aux structures mises en place au niveau national (Inrap, universités, CNRS), qui ne peuvent à elles seules couvrir toutes les missions de recherche préventive et fondamentale, de conservation et de mise en valeur.
Dominique JOLY
Directeur du service Archéologie
Chartres, mémoire enfouie
Capitale des Carnutes avant la conquête romaine, Chartres possède un patrimoine archéologique exceptionnel. Les entrailles de la ville conservent secrètement le témoignage de deux mille ans d’occupation humaine enfouis sous les fondations de sa cathédrale.
Consciente de cette richesse méconnue, la municipalité œuvre depuis une dizaine d’années à lever progressivement le voile sur ce trésor archéologique. Les grands projets d’aménagement menés en collaboration directe avec le service Archéologie de la ville de Chartres sont l’occasion d’approfondir la connaissance du territoire tout en inscrivant, chaque fois que cela est possible, l’empreinte archéologique dans le projet achevé. En construisant sa politique d’aménagement en relation étroite avec les programmations de fouilles, la commune affirme sa volonté d’interroger la mémoire profonde du lieu pour ancrer plus durablement le projet dans son territoire.
Ainsi, Le futur Centre d’interprétation de la cathédrale proposera aux visiteurs un parcours à travers l’épaisseur stratigraphique du lieu. L’approche archéologique permet de stimuler l’imaginaire du projet dans la continuité du récit urbain. Dans le quartier de Saint-Martin-au-Val, l’abandon d’un projet de ZAC au profit de l’aménagement d’un complexe archéologique associé à un parc urbain prouve qu’un programme peut aussi s’écrire à partir des ressources patrimoniales du site.
Cette démarche exemplaire mise en œuvre par la ville de Chartres participe d’une évolution globale des pratiques professionnelles en matière d’aménagement de l’espace. La “relocalisation” du projet urbain encourage l’approfondissement des territoires plutôt que leur extension. Elle démontre également que l’archéologie, au-delà de la simple étude scientifique du sous-sol, est aussi un formidable outil d’aménagement au service d’un «urbanisme culturel».
Xavier CLARKE DE DROMANTIN
ABF, chef du service territorial de l’architecture et du patrimoine d’Eure-et-Loir
- Le service Archéologie compte actuellement quarante-six permanents: vingt-cinq archéologues opérationnels, onze spécialistes (topographes, céramologues, archéozoologue, anthropologues, restauratrices, maquettiste, étude mobilier, etc.), deux adjoints techniques, une cellule Animation et valorisation (quatre personnes) et une cellule Direction (quatre personnes). De nombreuses compétences chronologiques et thématiques sont regroupées au sein d’une même équipe qui a ainsi les moyens de réaliser toutes les tâches courantes inhérentes aux diagnostics et aux fouilles, au traitement des données, à la rédaction des rapports et aux publications. Lorsque cela est nécessaire, des renforts temporaires sont recrutés (archéologues ou spécialistes). ↩
- La cour principale du sanctuaire mesure deux cents mètres sur trois cents. D’autres constructions monumentales le jouxtent à l’est. Le temple est peut-être situé à l’ouest. ↩
- Pour en savoir plus: http://archeologie.chartres.fr et, plus particulièrement : https://archeologie.chartres.fr/fr/qui-sommes-nous/historique-de-la-recherche ↩